Le signal du pétrolier 
ou 
De la recherche scientifique à la recherche d'emploi en passant par la recherche du pétrole


Ce jour de juin 1963 j'écoutais le conférencier que le "Frankfurter Zeitung", dans son édition spéciale consacrée au sixième congrès mondial du pétrole, allait qualifier dés le lendemain de "JULES VERNE de l'industrie pétrolière française".

ANDRE GIRAUD traitait de l'accélération du progrès scientifique et de ses conséquences sur l'évolution industrielle.
J'entendais, dans un demi-sommeil : "... la fin de ce siècle surviendra dans 37ans. Il y a 37 ans s'écoulait l'année 1926 ... Pour mesurer les changements qui surviendront d'ici l'an 2000, nous pouvons nous replacer en 1926" .... Suivait l'énumération des événements scientifiques marquant la période 1926-1963, énumération destinée à donner "une faible idée", selon le conférencier, du chemin qui serait parcouru par la Science dans la période 1963-2000. A.G.poursuivait :

"La recherche scientifique devient une fonction sociale pour laquelle on crée, depuis peu, de véritables équipes spécialisées. On est saisi par la rapidité de cette évolution que traduit une remarque d'OPPENHEIMER : 90 % des savants et des chercheurs qui ont existé depuis qu'il y a une SCIENCE et une RECHERCHE sont aujourd'hui en vie ".
A.G. notait que l'industrie du pétrole n'est pas celle qui fait le plus appel aux ressources de la science ; mais qu'il était bon que les relations entre la science et cette industrie changent de caractère car il n'est plus possible de laisser au hasard les relations entre le progrès scientifique et l'évolution industrielle. Néanmoins "... la quantité de recherche technique disponible étant limitée", de grands choix lui semblaient nécessaires. Deux remarques pouvaient, selon lui, guider ces choix :

l'une concernait l'amélioration des techniques existantes; améliorations qui réclamaient des ingénieurs aux connaissances approfondies ;
l 'autre visait l'émergence de nouvelles techniques qu'il appelait "novations". Ces novations impliquaient le recours "...à d'autres hommes, à d'autres méthodes" (il est connu,disait A.G.,que bien souvent les novations sont l'oeuvre "d'inventeurs isolés, voire d'amateurs"). Et de conclure que ..."déceler avec la plus grande avance possibIe les sources de novations serait, pour une industrie,  le moyen d'augmenter globalement le rendement des ressources intellectuelles que cette industrie consacre au progrès..."
Je devins soudain très attentif aux propos du conférencier.

Car maintenant il attribuait un rôle concret et immédiat aux novations.... "pour permettre à  notre monde de satisfaire l'effarant accroissement des besoins prévisibles d'ici l'an2000". Notamment lorsqu'il envisagea de ...."changer sérieusement le pourcentage de succés de la prospection pétrolière par l'emploi de méthodes nouvelles..." Avouons, disait A.G., que la presque totalité d'entre nous considère comme un fait acquis qu'il n'existe pas de méthodes directes de détection du pétrole et même qu'il est pratiquement impossible qu'il puisse en exister une, un jour. Et pourtant ! Supposons que la molécule de pétrole exerce un effet répondant à l'une des lois courantes de la physique, une loi en 1/r2 (décroissance proportionnelle au carré de la distance). Un gisement pétrolier moyen, de trois cent millions de tonnes en place (cent millions recupérables), à 3000 mètres de profondeur, exercerait le même effet que 35 tonnes de pétrole à un mètre du prospecteur? [Progrès scientifique et évolution industrielle dans le domaine du pétrole. Revue de l'IFP, XVIII, no 6, page 834]

Je n'écoutais plus la fin du discours.

Car ces propos venaient de me rappeler ceux qu'A.G. me tenait, en tête à tête,deux ans plus tôt. Ce jour là, aprés m'avoir invité à lui exposer les motifs de mon insatisfaction, il m'avait assuré de sa compréhension et m'avait convaincu de rester à l'Institut Français du Pétrole ; il s'engageait à répondre personnellement à l'autorisation que j'avais sollicitée: soutenir en thèse certains résultats dont je réclamais la propriété intellectuelle ; et il me proposait de réorienter sur le champ mon activité en me confiant la mise en oeuvre, sous un angle critique et selon mes propres vues,d'une nouvelle méthode de prospection "directe" des gisements pétroliers. Il s'était porté lui-même co-auteur d'un brevet déposé par deux ingénieurs de recherche, brevet qu'étayaient des expériences et des mesures conduites en laboratoire et sur le terrain.A.G. jugeait hautement souhaitable que cette mise en oeuvre ne soit pas confiée aux inventeurs mais soit conduite par un géophysicien n'ayant pas participé à la genèse du brevet.

J'appréciais cette façon de voir et les garanties orales que me donnait A.G. Il m'assurait que mon avenir "était dans cette maison" ; que les dépenses que j'allais devoir engager le seraient "hors budget" ; qu'à ses yeux les sommes impliquées ne sauraient représenter que l'infime fraction du coût d'un forage pétrolier; que toutes les demandes que je transmettrais - par la voie hiérarchique - seraient honorées.

Je sortis radieux du bureau d'A.G. que je rencontrais pour la première fois dans ses fonctions de directeur général adjoint de l'IFP ; il avait alors 35 ans et son autorité était incontestée. Jusqu'ici je ne l'avais rencontré que sur les courts de tennis. Je jouais mal  ; il jouait mal ; mais il semblait partager le confort physique que procure la perte d'un litre de sueur en un minimum de temps . Chaque partie était suivie d'un court entretien qu'il menait simplement , avec beaucoup de naturel et de convivialité. Ce faisant il enquêtait sur la marche des projets et je le soupçonne même de m'avoir invité, un soir, uniquement pour connaître mes raisons de ne pas participer à l'expérimentation, au SAHARA, d'un enregistreur sismique conçu par l'IFP. Je lui dis d'emblée que je n'étais pas partisan d'être associé à un échec.Car à mes yeux l'appareil souffrait d'un défaut de mise au point. Ce soir là il me quitta seulement aprés m'avoir fait raconter les raisons de ma certitude.

Un détail de sa vie d'étudiant, que je connus quelques années plus tard, éclaire bien sa personnalité et sa puissance intellectuelle :

..."nous étions sur le même banc au lycée de BORDEAUX,me disait un de ses anciens camarades d'etudes.Cette année-là, en 1943,nous préparions le concours d'entrée à l'X et le professeur de mathématiques fit défaut. Mon père,avocat à PARIS, m'inscrivit dans un grand lycée parisien. A.G.,dont le père avait une situation modeste (il était surveillant général), resta à BORDEAUX et se porta remplaçant du professeur. Moralité: il fut reçu premier à 1'X en 1944 et je ne fus admis, dans un rang médiocre, qu'au sein de la promotion suivante. C'était une très forte personnalité reconnue par tous ses camarades".

Cette parenthèse étant fermée, je reviens au dossier qu'il m'avait fait remettre. Son survol m'apprit que des conseillers scientifiques connus avaient suivis les travaux qui y étaient consignés : depuis la genèse de l'idée jusqu'aux mesures de laboratoire et de terrain. Un premier contact avec les inventeurs et leurs techniciens, un premier examen de l'interprétation des résultats rapportés, tout cela m'apparut, de prime abord, très motivant.

L'interprétation la plus plausible des résultats était la suivante :

On admettait qu'il pût exister dans les gisements pétroliers des écoulements dûs, soit à des microséismes, soit à des mouvements de convexion causés par le gradient géothermique. Ces écoulements de liquide à travers les roches poreuses créaient des potentiels d'électrofiltration. Ces potentiels faisaient circuler des charges électriques dans l'eau salée présente au sein des gisements pétroliers de sorte que ces derniers étaient le siège de courants continus. Selon une autre hypothèse, proche de la précédente,on admettait que dans certains gisements contenant très peu d'eau, les potentiels d'électrofiltration pussent atteindre des valeurs importantes. A un certain instant le champ électrique devenait alors suffisant pour provoquer la "cohération" des gouttelettes d'eau interstitielles (ce phénomène avait été mis en évidence en laboratoire). Un court-circuit pouvait dès lors s'établir et donner naissance à une onde électromagnétique détectable à la surface du sol, dans un spectre large.

Malheureusement, aux yeux des auteurs du brevet, les phénomènes qu'ils avaient observés et enregistrés n'avaient qu'une cause possible : c'était la présence d'un gisement pétrolier.

Or, à mes yeux, les phénomènes électromagnétiques naturels pouvaient avoir,a priori, de multiples origines. I1 convenait donc de savoir en extraire la signature d'un gisement pétrolier.

Parmi ces phénomènes, certains étaient bien connus;d'autres faisaient l'objet d'études approfondies ; entre autres, l'électrofiltration dans les nappes aquifères superficielles (le sens caché des sourciers lui était attribué par YVES ROCARD, [Le signal du sourcier, Dunod, 1963]  alors directeur du laboratoire de physique de 1'ECOLE NORMALE SUPERIEURE) ; et les variations, dites rapides,des champs électriques et magnétiques naturels, étudiées et exploitées par LOUIS CAGNIARD [Electricité tellurique ; Handbuch der Physik, Springer, Berlin, 1956] ,alors directeur du CENTRE D'ETUDES GEOPHYSIQUES de GARCHY et inventeur de la méthode MAGNETOTELLURIQUE (dont le domaine d'applications prétendait couvrir les besoins de la Physique du Globe et celui de la prospection pétrolière et minière)

La mise en oeuvre qui m'était confiée devait donc être conduite en s'attachant à distinguer les signaux spécifiques de la présence du pétrole,seuls évoqués dans le dossier que m'avait fait remettre A.G., des autres manifestations électromagnétiques qui constituaient un "bruit" susceptible de masquer le "signal" auquel s'intéressait le prospecteur pétrolier.

Au cours de la recherche documentaire que j'effectuai dans un premier temps, je notais que les "signaux" par lesquels les gisements pétroliers étaient présumés manifester leur présence à la surface du sol, présentaient des analogies et des différences, selon l'hypothèse retenue, avec le "signal du sourcier" d'Y.R. : il s'agissait dans les deux cas de variations électromagnétiques liées à la filtration dans les roches du sous-sol. Mais alors que "le signal du sourcier" consistait en une anomalie magnétique stationnaire,-ce qui impliquait le déplacement de l'opérateur pour transformer une telle anomalie en une variation temporelle à laquelle l'homme serait sensible - , le signal du prospecteur pétrolier pouvait se présenter comme une variation temporelle locale, donc théoriquement détectable par un opérateur immobile.

Cet opérateur ne pouvait être un sourcier (même très doué) vu la faiblesse relative des variations magnétiques que j'avais estimée. Il me fallait envisager la construction de capteurs spécifiques trés performants pour l'époque (seuil de bruit inférieur à un milligamma sur une bande passante de quelques dizaines de hertz).Une enquête à CORBEVILLE et à GRENOBLE me permit de constater l'inadéquation des magnétomètres prototypes existants ; qu'ils soient basés sur le pompage optique étudié par A. KASTLER et utilisés par Y.R. pour mesurer l'amplitude des anomalies responsables, selon lui, du sens caché des sourciers ; ou qu'ils soient basés sur la résonance magnétique para-électronique , tel celui qu'A.SALVI avait utilisé avec succès pour tenter de détecter un sous-marin en plongée.Seuls pouvaient convenir, a priori, les variomètres à "contre-réaction de flux" dont le C.E.G. de GARCHY envisageait alors la réalisation - mais leur sensibilité aux vibrations posait problème.

Ces considérations se situaient en aval de la difficulté majeure à laquelle je me heurtais en tout premier lieu. Il me fallait en effet concevoir un schéma directeur du raisonnement capable de guider la mise en oeuvre des mesures et d'en classer les résultats. Ce schéma devait avant tout offrir la possibilité de séparer les variations d'origine interne (telle était l'origine présumée des signaux utiles) des variations d'origines ionosphériques et atmosphériques, déja connues et exploitées par plusieurs méthodes de prospection. Ce souci, dans le contexte de l'étude documentaire que j'avais réalisée, était déja partagé par d'autres chercheurs, en RUSSIE notamment. Mais aucune publication n'apportait de solutions concrètes.Je ne notais que des recommandations du type : ..."dans ces recherches il convient d'accorder une attention fondamentale aux méthodes d'observation ainsi qu'aux appareils, afin de pouvoir séparer les variations engendrées par des sources internes et par des sources externes". Louis CAGNIARD, de son côté, écrivait que le prospecteur magnétotelluricien n'avait pas à se soucier de la localisation des sources :..."qu'elles soient au-dessus de sa tête ou sous ses pieds, le phénomène est le même dans les deux cas "...Mais L.C. s'exprimait dans le contexte de la méthode qu'il avait brévetée en 1950. Dans ce contexte ..."il ne pouvait s'agir que de phénomènes stationnaires, excluant toute idée de propagation : dans les équations de MAXWELL on postule que la vitesse est infinie", m'écrivait-il.

J'avais donc à concevoir un schéma directeur original.

Je lui imposais de savoir restituer celui qu'utilisait L.C.mais d'être plus général : il reposerait sur un phénomène de propagation et je le déduirais, par analogie formelle,grâce au concept d'impédance d'onde plane électromagnétique, banalisé par STRATTON, de celui dont je contrôlais l'usage dans son application à l'étude de la propagation d'ondes élastiques planes.

Enfin l'examen attentif des mesures fournies par les inventeurs de la méthode de prospection directe du pétrole, mesures réalisées au-dessus de plusieurs champs pétroliers, me conduisait à contester leur fiabilité : j'expliquais ce défaut par la difficulté de mettre en oeuvre des mesures électrométriques sur le terrain. J'avais du reste précisé mes vues par l'esquisse d'une théorie de l'instrumentation conçue par les inventeurs - esquisse qui faisait l'objet d'une note manuscrite.

A ce stade de mes investigations, je demandai à A.G. l'autorisation de réorienter les recherches selon trois axes :
 

- abandonner la mise en oeuvre immédiate de la méthode brevetée, dont il était l'un des auteurs;
- viser, dans un premier temps, l'observation de phénomènes électro et magnéto sismiques provoqués ; observer parallélement, avec le même appareillage, la cohérence des "bruits", c'est à dire,en partie principale, des phénomènes magnétotelluriques;
- déterminer un schéma directeur devant permettre, à moyen terme (temps nécessaire à la mise au point de capteurs adaptés et performants) de séparer les sources d'origine interne, de celles d'origine externe.
 
A l'appui de ma demande je lui remis trois documents :

- l'étude critique manuscrite des mesures réalisées par les inventeurs;
- le texte d'une note dont je venais de proposer la publication,sur les effets électro et magnéto sismiques, dans le but de susciter un échange avec d' autres chercheurs sur un sujet connu mais très controversé;
- le contenu d'un "pli cacheté" qui justifiait mon approche des problèmes et que préfaçait la synthèse de l'étude bibliographique que je venais de terminer.

C'était quelques semaines avant le sixième congrès mondial du pétrole .

Je reçus,le 3I mai 1963,un avertissement du directeur des relations sociales de l'lFP pour avoir publié une note dans les comptes-rendus de l'Académie des Sciences sans l'autorisation de ma hiérarchie. J'étais en outre avisé que le pli cacheté que "j'avais été autorisé" à déposer, ne devait être ouvert qu'avec l'autorisation de ladite hiérarchie.
Le même jour, A.G. me convoqua et me dit : "j'ai fait examiner vos documents ; il semble que vous ayez raison ; vous avez donc toute latitude pour réorienter le programme selon vos vues."
Et il maintint ma participation au congrès de FRANCFORT.

Incontestablement, A.G. savait parfaitement souffler le chaud et le froid. Mais cette fois-ci je n'étais pas satisfait en le quittant. Je me sentais "piégé". Car la hiérarchie en question ne me semblait adhérer à mes vues que par souci de ne pas déplaire au chef. Je venais de constater que le climat de confiance et de liberté d'action n'existait pas et je redoutais de ne pouvoir disposer des moyens nécessaires au développement cohérent de l'action que je préconisais. J'estimais, à tort ou à raison, que mon avenir à l'IFP était sérieusement compromis.

Parallèlement à la conduite de ce programme, j'avais pris des contacts avec 1'UNIVERSITE en vue de soutenir en thèse des résultats obtenus sur modèles : A.G. avait donné une suite positive à ma demande dés la fin de l'année 1961. Mieux, il me facilitait les contacts en m'indiquant le nom d'un professeur qu'il employait comme conseiller.

Mais celui-ci se déclara incompétent et m'orienta sur un collègue ; qui à son tour m'adressa à un autre ... Finalement c'est vers trois géophysiciens bien connus que convergèrent les adresses : Louis CAGNIARD, Yves ROCARD et JEAN COULOMB. Ce dernier avait été directeur de l'INSTITUT de PHYSIQUE du GLOBE ; je l'avais déjà rencontré à plusieurs reprises car il m'avait convoqué avant de publier dans les comptes rendus de l'académie des sciences plusieurs notes que j'avais soumises à son appréciation.

Ces trois personnalités acceptaient,en principe, de constituer un jury de thèse à condition que le rapporteur de mes travaux soit Louis CAGNIARD.Cela me semblait naturel vu l'audience dont jouissait ce dernier dans le monde de la géophysique appliquée : je savais qu'il était l'auteur de deux thèses,dont la seconde, éditée en 1939 chez GAUTHIER-VILLARS, était en cours de traduction au CALTECH.

Il avait précédé L. MIGAUX, promoteur de la méthode tellurique de prospection géophysique, à la tête de la Société de Prospection Electrique (SPE) devenue la Compagnie Générale de Géophysique; il était lui-même le promoteur de la méthode magnétotellurique au développement de laquelle travaillaient plusieurs thésards sous sa direction. C'est, entre autres, ce qu'il m'apprit à Garchy, la première fois qu'il me reçut ; dans un style qui révélait une personnalité complexe : humour percutant servi par une voix aigre ; ironie féroce à l'égard de lui-même, de ses collègues, de ses thésards :

- "ma thése?...une erreur de jeunesse....les américains s'y intéressent .... 25 ans après ils vérifient mes calculs ... il semblerait que je n'aie pas commis d'erreurs..."

- "vous citez ROCARD ? Mais dès lors, cher monsieur, vous avez là un rapporteur idéal pour vos travaux ?... LE SIGNAL DU SOURCIER est un livre misérable ; écrit pour faire de l'argent ...; peut-être aussi pour rendre hommage à une mère qui était sourcière. Y.R. aurait dû se borner à cet hommage filial ... au lieu de dévoyer deux promotions de normaliens vers la sourcellerie ...  qu'en pensez vous ?"

Je pensais qu'Y.R. avait écrit d'autres livres très utiles à des chercheurs soucieux des applications de la recherche ; notamment sa dynamique générale des vibrations. Que de tels livres, peut-être imparfaits sur un plan académique aux yeux de L.C. (le signal du sourcier entrait dans ce contexte) faisaient cruellement défaut en FRANCE où le chercheur ne pouvait travailler qu'à partir de livres américains (c'était mon cas) ; peut-être imparfaits eux aussi, mais indispensables, car sans égaux.

L.C. aimait ses thésards et ceux-ci le lui rendaient bien.Les coups de griffe qu'il leur adressait .... "il faut leur trouver un sujet de thèse ... et ensuite réécrire leur thèse...", n'étaient, au fond, pas méchants.

Ce comportement admis, mon premier contact avec L.C. fut bon : il accepta le plan que je lui proposais, facilita mon inscription à l'université, se montra par la suite intéressé par la lecture du premier chapitre (publié dans les ANNALES DE GEOPHYSIQUE) , applaudit à la lecture du second chapitre (que publia L'ONDE ELECTRIQUE) , puis me recommanda, dés lors, de prendre contact avec les autres membres du jury. Il me fit cette recommandation avant d'avoir approfondi la lecture du troisième chapitre et avant même d'avoir reçu le quatrième et dernier chapitre. Mais je venais de lui adresser des "GENERALITES SUR LA METHODE MAGNETOTELLURIQUE", éditées par le centre d'études supérieures de prospection géologique et géophysique intégré à l'ENSPM.C'était l'édition de mes conférences sur le sujet, faites en février 1965 [Rapport ENSPM 11942, mai 1965]. L.C. s'était montré intéressé par les perspectives qu'offrait le modèle mathématique que je proposais, modèle basé sur la propagation d'ondes planes et la généralisation du concept d'impédance. Certaines perspectives lui semblaient ouvrir une nouvelle voie à la version sous-marine de sa méthode ; il me demanda si je songeais à déposer un brevet  ; je lui répondis que non.L.C., lui, se réservait la possibilité de prendre un nouveau brevet (ce qu'il fit en 1966 et ce dont j'eus connaissance par l'ANVAR qui demanda mon avis).

Nous étions en juillet 1965.
Je croyais dés lors ma thèse acceptée par L.C.
Je me trompais lourdement.
La lecture attentive de mon quatrième et dernier chapitre provoqua un revirement total de sa position. Il me le signifia oralement à GARCHY, à la fin de l'année 1965, me demandant d'emblée l'intérêt que j'avais à "publier des résultats théoriques susceptibles d'ôter le travail à 52 personnes". Une telle question me laissa perplexe.
Je dois ici ouvrir une parenthèse pour expliquer la genèse et le contenu du chapitre en cause. C'est en rédigeant l'article sur "l'analogie des calculs d'un sismogramme et d'un sondage magnétotellurique " pour les Annales de géophysique que j'ai ressenti l'impérieuse curiosité de commenter certaines conséquences qu'impliquait l'analogie des schémas mathématiques et d'approfondir ainsi l'étude des possibilités et des limitations de la méthode magnétotellurique. Parmi les résultats sur lesquels j'attirais l'attention,certains offraient à la méthode brevetée par L.C. des possibilités nouvelles ; d'autres tempéraient les possibilités d'une version sous-marine.

En offrant à L.C. de rapporter ces résultats au nom de son laboratoire je croyais le récompenser, dans la mesure de mes moyens, de la peine qu'il avait prise jusque-là en lisant les textes précédents.

L.C. ne voulut rien entendre. Il se refusait à rapporter les limitations de sa méthode.

A cette époque j'avais quitté 1'IFP et je devais faire mes preuves dans la jeune entreprise qui se lançait, à LYON, dans le domaine de la recherche industrielle sous contrats. Mon premier travail consistait à participer au perfectionnement de méthodes et de techniques de mesures in situ de la résistivité des terrains et de leurs modules d'élasticité. Ceci sous la direction d'un géophysicien dont la carrière s'était déroulée aux U.S.A. depuis sa sortie de l'ENS. Je devais donc impérativement oublier mon projet de thèse.Ce que je fis. Jusqu'au dépôt de bilan de la jeune société ; laquelle, contrairement à l'IFP, ne disposait pas de ressources autres que celles résultant de la facturation des recherches effectuées pour les industries clientes.

Je ne devais reprendre mon projet que quelques années plus tard, alors que j'étais sans emploi.

Le refus de L.C. entraînait celui de Y.R. Ce dernier m'avait donné son accord de principe en ces termes : "votre mémoire n'est pas une thèse ; mais il révèle des connaissances larges ; je perdrai donc une heure pour aller vous écouter, à condition toutefois que L.C. en soit le rapporteur - et personne d'autre".

Dans ce contexte j'adressais à JEAN COULOMB une chronologie des faits et lui faisais part de mon embarras.

Je dois ici rendre hommage à la haute intégrité de cet homme et à sa disponibilité : c'est grâce à lui que mon entreprise put aboutir. Il me proposa de prendre en charge le rapport de mes travaux à condition que je trouve un géologue et un mathématicien qui acceptent de participer au jury, à ses côtés. Le mathématicien devait se porter garant de la méthode graphique que j'avais conçue pour obtenir les solutions spécifiques des équations de MAXWELL en fonction des positions relatives des sources et des capteurs.

Je connaissais les travaux d'ELIE ROUBINE sur la  théorie de la communication professés à l'ESE : à ma demande il accepta de participer.

Enfin le hasard me servit pour trouver un géologue : le 13 septembre 1971  j'avais explicité un point de désaccord avec L.C. sur un problème de "conditions aux limites" dans une note publiée par les comptes rendus de l'Académie des Sciences.Cette note, à laquelle L.C. avait répondu par le même canal quelques semaines avant sa mort,avait attiré l'attention de Jean GOGUEL, ingénieur général des mines, professeur à l'ENSMP, conseiller du BRGM. Il me demanda des éclaircissements. J'accompagnais ma réponse du mémoire que je souhaitais soutenir en thèse et lui demandai de bien vouloir faire partie du jury (il fut, en fait, le rapporteur de mes travaux).
 
 C'est ainsi que je fus amené à soutenir ma thèse le 12avril 1972 :
Etudes analogiques appliquées a l'interprétation géophysique et à la recherche de nouvelles méthodes de prospection. Mémoire enregistré au CNRS sous le no AO7276.

Je regagnais donc le monde des chômeurs avec le grade de docteur ès-sciences, mention très honorable. J'avais alors 42 ans et abordais une reconversion professionnelle qui devait me conduire, sur le terrain, vers les problèmes de développement et de reconversion industriels incluant ceux du resserrement des liens entre RECHERCHE et ÉCONOMIE.
 

Quelque douze ans après les faits ci-dessus rapportés, j'appris par la presse qu'une tentative pour développer une nouvelle méthode de prospection directe des gisements pétroliers avait été faite par le groupe ELF, avec des moyens importants. Mais la phase d'approche scientifique, à l'image de celle que j'avais conduite pour cerner les incertitudes du développement industriel, aurait été négligée ... au profit du secret stratégique ?

Je ne fus nullement étonné d'apprendre que le ministre qui intervint alors pour arrêter une action mal engagée - et l'hémorragie financière conséquente - fut André Giraud. 

A sa mort, en 1997, les techniques et les méthodes existantes dans le domaine de la prospection pétrolière avaient considérablement évolué par intégration des apports de l'électronique et de l'informatique. Mais aucune "novation" n'avait émergé. Le "signal" dont A.G. s'interrogeait quant à l'existence, en 1963, restait noyé dans le bruit des silences.

Mise sur le Web le 19/3/1999 par  Robert Mahl