ELECTIONS 2002 EN FRANCE

Point de vue d'un électeur




Les élections vont avoir lieu dans un monde égoïste, où le manque de considération de l'autre est la règle, où beaucoup se sentent écrasés par l'attente d'un futur répressif ; où chacun tente de sauvegarder son emploi et sa place ; où la jeunesse est démotivée ; où les projets dont la clarté et la continuité seraient capables de surmonter les puissances d'inertie aujourd'hui à l'oeuvre, sont singulièrement absents.

Le doute et les désillusions sont les germes d'une violence latente que tente de contenir une classe de privilégiés. Ceux-ci, (CLEMENCEAU les dénonçait déjà en 1913), se donnent pour règle de vivre confortablement " dans les champs du pouvoir " et de n'avoir point d'histoires. En conséquence, les dysfonctionnements sont étouffés au lieu d'être mis en cause ouvertement - donc courageusement. Et la création d'une dynamique nouvelle devient impossible.

En jouant sur des attitudes et des formules qui ne trompent plus personne (réduction de la fracture sociale, réduction du chômage par celle du temps de travail...), les gouvernants sèment le doute et le désarroi chez ceux qui attendent l'adoption et la mise en oeuvre d'une politique basée sur les équilibres et la croissance des ressources internes du pays - et qui assistent à la fuite en avant qu'accompagne la montée des inégalités sociales, du chômage et de l'insécurité. L'individu isolé, qui cherche à vivre de son travail, se sent brisé et reste seul face à ses convictions.


Tout est à craindre ? ou à espérer ?


Car, de même que l'éruption d'un volcan succède à une longue phase d'accumulation de contraintes sous la croûte terrestre, une révolution socio-économique peut succéder à la longue phase d'étouffement des dysfonctionnements sous la croûte des privilégiés.

L'élection présidentielle procurera-t-elle l'occasion de secouer l'inertie et d'amorcer une révolution porteuse d'avenir ?

" La révolution de 1789 est venue 20 ans trop tard pour être menée à son terme sans effusion de sang " ... aurait dit MOUNIER, avant de démissionner de la présidence de l'assemblée nationale constituante puis de s'exiler. De son côté, CHAPTAL, cet industriel et universitaire qui fut ministre du Premier Consul avant de remettre sa démission à l'Empereur, écrivait le 2 octobre 1789, ainsi que le rapporte son arrière-petit fils : ... " la révolution qui s'effectue est une bonne chose ... nos enfants en jouiront ; ils ne pourront pas nous accuser d'avoir songé plus à nous qu'à eux. C'est ce qui me console " ...

Dans le contexte socio-économique actuel, la succession des conflits et des scandales nourrit peut-être un imaginaire collectif proche de 1789, écrit E. TODD dans son ILLUSION ECONOMIQUE.
Alors que le peuple français s'était défini contre sa noblesse, aujourd'hui il rétablit peut-être son unité face à une nouvelle aristocratie étourdie dans ses privilèges et son inconséquence ...

Cette unité est indispensable pour permettre les réformes utiles à une société surendettée, balayée par les vents d'une compétition impitoyable, dans laquelle le risque majeur d'un déclin sans retour obsède les lucides, les actifs, les entreprenants - sans entamer néanmoins la résistance aux réformes de ceux que le scepticisme, l'évasion civique et le désintérêt national, maintiennent dans leur cocon.
Tout cela, Claude IMBERT l'écrivait en 1995 dans l'un de ses éditoriaux.
Mais depuis cette date, nos élus se sont révélés incapables de s'unir autour de quelques idées fortes, porteuses de réformes.

Au contraire, ils ont fait étalage de désaccords d'où est née l'impuissance du gouvernement. Ainsi prévaut la complicité du silence malgré la montée inexorable du chômage et des emplois précaires ; montée qui faisait dire à J.B. DOUMENG, il y a 15 ans déjà, (Tribune de " La Dépêche du Midi " en date du 17.10.1986) ... " si une telle situation devait se maintenir ou s'aggraver, les bases de la délinquance, des trafics de stupéfiants, y trouveraient un terrain favorable ... les bases d'actions terroristes y trouveraient aussi, sans doute, des justifications " ...

Or, au plan qualitatif, le chômage n'a cessé de s'aggraver depuis 1968 dans les classes moyennes et les secteurs de la production. Au plan quantitatif, bien que masquée par le développement d'un tertiaire hypertrophié et inapte, en sa partie principale, à épauler la création de richesses, son irrésistible croissance est illustrée par quelques repères :

Dès 1965, Pierre-Mendès FRANCE jugeait qu'un nombre de 500 000 sans emplois serait insupportable pour le pays.
Ce nombre a dépassé 1 500 000 en 1979.
François MITTERRAND dénonçait alors le système économique qu'incarnait Valéry GISCARD d'ESTAING : le chômage était une arme tactique (il s'agissait de " tenir " la classe ouvrière) et stratégique (il fallait insérer la France dans la division internationale du travail).
Après 14 années de pouvoir, François MITTERRAND laissait le pays avec plus de 3 millions de chômeurs ...

Une source de chômage particulièrement grave est constituée par l'arrêt et la délocalisation d'activités de production. Elle est, en partie, la conséquence de l'exigence qu'ont certains actionnaires (notamment les fonds de pension) : les taux de rémunération élevés et immédiats qu'ils exigent, conduisent les dirigeants, d'abord à sous investir en moyens d'études et de développement, puis à réduire les coûts sociaux ...

L'arrêt des activités ou leur délocalisation vers les pays à bas salaires et sans protection sociale n'est pas compensée, sur le sol français, par la création d'entreprises innovantes et à forte croissance interne : sauf rares exceptions, produire des composants technologiques et développer industriellement l'invention, reste le quasi monopole des pays qui ont fait un effort de recherche appliquée et d'organisation industrielle sans précédents, au cours de la période 1939-1945. C'est le cas des U.S.A.. Par la suite ce pays a su drainer la matière grise internationale au sein de programmes scientifiques et technologiques dont les retombées lui assurent une suprématie économique, militaire et culturelle. Une conséquence majeure de cette suprématie est l'alignement des monnaies sur le dollar depuis sa non convertibilité en or, décidée unilatéralement le 15 août 1971.

Quant à la France, restée présente sur les champs de bataille et dans les conférences diplomatiques à une époque où l'indépendance se gagnait dans les laboratoires et les usines, elle reste aujourd'hui prisonnière de ses retards et de son conservatisme, malgré des réussites ponctuelles. Constatons que les concours de la fonction publique reflètent plus, aujourd'hui comme hier, les attentes conservatrices du système scolaire et de la haute administration, que l'appel d'un secteur industriel résolument ouvert sur la recherche et le commerce international - secteur dans lequel, par ailleurs, la qualité de l'animation de compétence, l'enrichissement des tâches qui en résulte, et la participation de fait des salariés au sein d'équipes pluridisciplinaires, ôtent tout objet à une réglementation de la formation continue et du temps de travail.

Dans le contexte d'impuissance actuel, rares sont les responsables politiques qui ont le courage de se battre jusqu'à mettre leur démission en jeu pour faire prévaloir leurs idées.
Le plus grand nombre restent englués au sein d'un parti et s'accrochent à leur poste en cultivant quelques principes :

* la tolérance par le dialogue (dut il être engagé à contre temps et dans un climat dégradé par l'assassinat d'un représentant de l'Etat) ;

* la religion de l'argent (fut il d'origine purement spéculative) et des indicateurs boursiers (même lorsque la Bourse n'enregistre que la montée des inégalités dans la possession du capital et non la création de valeur) ;

* la domination sociale par les bureaucraties au lieu d'une animation de compétence sur le terrain, au contact des problèmes concrets. Cette domination est le fait de gens formés aux " pirouettes du langage ", ainsi que l'écrivait A. PEYREFITTE (Le mal français, PLON, 1976), plus qu'aux disciplines appliquées à la création de richesses. Ainsi, la France ne manque ni de politiciens, ni de diplomates ; mais elle manque de médecins et d'infirmières ; elle manque d'entreprises à taille humaine et de services capables de contribuer à la production de biens à forte valeur ajoutée ; elle a laminé ses exploitations agricoles de taille familiale par la distribution de primes européennes " hors quotas " - au lieu de favoriser le maintien des familles rurales par la déconcentration et la création de sources de salaires d'appoint dans les régions menacées d'exode.

L'Europe, dont certains attendent un miracle, ne risque d'être en fait qu'un magma, un champ de fractures sociales élargies, si ses composantes se révèlent incapables de s'ériger en modèles de développement équilibré et se bornent à attendre les directives d'une technocratie lointaine et éclatée.

Ce dont nous sommes certains, en cette période préélectorale, c'est que la partie commune à tous les programmes de gouvernement sera constituée par les palliatifs qu'exige le court terme (création d'emplois dans la police, construction et réhabilitation de prisons, développement de services sociaux, apaisements à donner aux groupes de pression de toute sorte ...).

Toutes ces mesures palliatives découlent de la dégradation du contexte économique et social par les forces d'inertie en oeuvre, tant sous les gouvernements de droite que de gauche. Ces mesures augmentent les charges de " l'Entreprise France " ; elles compromettent les investissements qui conditionnent les ressources futures : elles s'inscrivent donc dans la spirale d'un déclin annoncé.

Seule la définition d'une politique volontariste basée sur la recherche des équilibres et de la prospérité du pays, accompagnée des sacrifices à consentir pour sa mise en oeuvre par un gouvernement rassemblé autour d'un président élu et responsable, peut, à mon avis, redonner l'espoir aux jeunes et aux entreprenants.

Il est indispensable d'espérer pour entreprendre, écrivait, il y a 20 ans, un ancien président du CNPF (Y. GATTAZ - La fin des patrons, R. LAFFONT, 1980). Cela est toujours vrai même si certains, dans des contextes de reconversion ou de recherche d'un premier emploi, sont contraints d'entreprendre sans espérer et de persévérer sans réussir.

JPM C 31.01.2002